La visite des mages
Claudine Hornung

Un texte très connu, tellement connu que la tradition profane s’en est emparée, transformant ces mages, ces astronomes en rois, fixant leur nombre à trois : Gaspar, Melchior, et Balthazar. La tradition française a même ajouté le gâteau traditionnel de la galette des rois, brillant de beurre doré et agrémenté d’une couronne ; en Allemagne on a retenu la belle image de l‘étoile avec les Sternsinger qui célèbrent l’Epiphanie, la reconnaissance de Jésus.

 

Mais le texte, à le lire de près, nous étonne par sa richesse : au-delà de l’exotisme et de la beauté magique de l’étoile guidant les mages vers Bethléem, nous trouvons des aspects déroutants, peut- être un Dieu déroutant, qui nous appelle à passer « par un autre chemin ».

 

L’atmosphère du récit est dramatique, on croirait lire une série à suspense avec une intrigue (qui arrivera le premier sur les lieux de la naissance du « roi des Juifs » ?), des jeux de pouvoir (Jérusalem ou Bethléem ?), la séduction d’Hérode envers les mages, la manipulation des autorités religieuses, l’errance des mages finalement pris en charge par l’étoile. Des symboles sombres s’accumulent : en mettant le roi Hérode en contact avec Jésus, Matthieu annonce le conflit qui va opposer aux autorités religieuses le vrai Roi et Sauveur de son peuple. Hérode ne pense qu’à tuer, bientôt la famille de Jésus va devoir fuir en Egypte pour échapper au massacre des enfants sur le territoire de Bethléem.

 

Les mages qui pensaient avoir atteint leur but en arrivant à la cour d’Hérode sont déboussolés : leur Roi est ailleurs, non pas là où ils l’attendaient – à Jérusalem- mais dans une bourgade, les parents  de Jésus ont trouvé refuge dans une étable, à Bethléem. C’est la prophétie biblique qui les conduit et leur confiance en la prophétie biblique. Et l’astre s’arrête, aberration astronomique, mais les mages qui ont été conduits jusqu’où ils ne voulaient pas aller au départ, ont été conduits des ors du palais d’’Hérode à l’humilité de l’enfant de Bethléem. Ces hommes qui étudient la configuration du ciel ne savent plus rien,, le basculement des astres  leur semble tout d’un coup indifférent : ils perdent leur science mais ils gagnent tout : la joie. Ils ont rencontré la véritable Lumière et cette lumière efface celle des puissants. Et pourtant aujourd’hui encore on n’a pas compris, on adore les puissants et les symboles de la puissance nous sommes éblouis par des lumières artificielles, par des gloires éphémères.

 

 Remarquons aussi que ce sont des étrangers, des païens qui sont les premiers à rendre hommage à Jésus, apprenons d’eux l’humilité : ils plient le genou devant un enfant emmailloté mais ils ne doutent pas que cet enfant soit le vrai Roi, cette reconnaissance c’est une épiphanie, une évidence qui s’impose à eux ; le pouvoir que leur conférait leur savoir n’est plus rien, ils sont dans le registre de l’espérance et du don complet des plus grandes richesses qu’ils possèdent : l’or qui exprime leur reconnaissance de Jésus comme leur vrai Roi, l’encens et la myrrhe, parfums traditionnels de l’Arabie et peut-être les symboles de l’embaumement du futur ressuscité. La suprématie universelle de ce nouveau Roi est ainsi soulignée : on vient des contrées les plus lointaines pour le découvrir. Mais il ne faut pas seulement être étranger, prestigieux et savant pour rencontrer Jésus : les mages sont riches autant que sont pauvres les bergers de Luc 2, 9 à 19 : le salut s’est fait homme autant pour les débordants de richesses que pour les plus pauvres , les habitants de la localité, comme ces bergers empêchant dans la nuit que les voleurs ne viennent s’emparer de leurs quelques moutons. Nous sommes tous frères, égaux devant la Parole et destinataires de la lumière de l’Etoile.

 

Les mages rentrent chez eux par un autre chemin : voir, trouver Jésus ce n’est pas la fin d’un chemin. C’est le commencement d’une quête, c’est bien autre chose que les certitudes des grands prêtres et des scribes qui savent tout de suite donner à Hérode la référence des textes de Michée, mais ne bougent pas pour autant. Les mages sont des chercheurs de Dieu, de ceux qui questionnent toujours, qui se laissent bouleverser, qui savent pouvoir rencontrer Dieu là où on ne l’attend pas. La recherche des mages, c’est comme notre vie faite de tâtonnements, de doutes ; nous n’avons pas toujours de GPS, nous avons du mal à donner un sens à notre vie. Mais Dieu nous invite à choisir la lumière, à passer de la crainte à la joie. Joie des mages qui ont trouvé l’endroit où est né Jésus, joie des mages qui partent confiants, indifférents aux menaces d’Hérode. Des craintes, il y en a beaucoup en ce moment : crainte d’être contaminé, crainte de l’autre, crainte de l’avenir, peur du confinement. Mais au lieu d’un Dieu lointain et punissant, nous pouvons avoir la joie d’un Dieu de proximité qui veut nous aider à cheminer, à trouver Sa Lumière, malgré nos erreurs et nos manquements.

 

 Et le message qui nous est délivré ce matin nous encourage à nous mettre en marche, avec nos frères de route, par un autre chemin, celui de l’humilité du prince de la Paix, cette paix qui naît d’une lumière imperceptible qui précède toutes les autres lumières.

 

 Amen.

Claudine Hornung