Parabole du serviteur sans mérite
Pasteur Georges Kobi

Inversion des rôles

Cette parabole dite "du serviteur inutile" se présente de manière inhabituelle. Au lieu d'être le récit d'un événement de la vie quotidienne, dans lequel l'auteur introduit un élément perturbateur, qui va provoquer notre réflexion, ici Jésus prend à témoin une situation bien connue, et la présente par l'absurde. 

Il est absurde en effet de penser qu'un employé au service d'un patron se trouve un jour, tout-à-coup, dans cette situation inversée: il rentre des champs, ou de la garde du troupeau; il est non seulement accueilli et remercié par son patron pour sa journée de travail... mais celui-ci l'invite aussitôt à se mettre à table, à manger et à boire. L'employé servi par son patron.

 

Absurde. Le serviteur au contraire - le texte original grec utilise même le terme d'esclave - une fois rentré au logis, prépare le repas du maître; puis il met des habits propres pour servir le patron à sa table, afin que celui-ci puisse manger et boire. 

C'est seulement à la fin de son service que cet employé préparera son propre repas, mangera à son tour... et ira se coucher.

 

Ce retournement absurde de situation me rappelle une fête païenne, qui prend son origine soit dans l'Antiquité, soit au Moyen-âge, pendant laquelle on inversait les rôles justement: le roi devenait pour quelques heures un sujet, et le sujet devenait roi; le serviteur prenait la place du maître, et le maître la place du serviteur...

 

Où Jésus veut-il en venir ? 

Avant de chercher une réponse possible, il est essentiel de se rappeler le contexte de ce chapitre 17 de l'évangile de Luc. Jésus est en entretien particulier avec ses disciples; et non plus avec une foule d'anonymes. Ici, Jésus est avec ceux et celles qui ont répondu à son appel, ou qui ont manifesté le désir de suivre ce Jésus qu'ils prennent désormais pour leur maître. 

Alors, cette situation absurde que Jésus prend à témoin devant ses disciples, est bien destinée à les provoquer. Les provoquer dans leur manière d'envisager le service du maître qu'ils veulent suivre. 

Ouvriers engagés dans la moisson - image familière dans les évangiles - ou dans les vignes - autres image familière - ou encore dans la conduite du troupeau. Autant d'images qui symbolisent la mission du disciple du Christ, à savoir: l'annonce de la bonne nouvelle apportée par Jésus, bonne nouvelle du salut aux pauvres, aux aveugles, aux estropiés de la vie. Sans exclure les autres, ni qui que ce soit, évidemment! 
 

Des serviteurs sans mérite

Or - et voilà je crois la pointe de cette parabole du maître et du serviteur - s'il y a de quoi être reconnaissant d'avoir été appelé au service d'un pareil maître, honoré d'avoir été embauché dans cette mission quotidienne consistant à vivre et à annoncer l'évangile... s'il y a de quoi être reconnaissant de tout son coeur, de toute sa personne d'être ainsi employé à ce service... par contre, il n'y a aucun mérite de notre part à faire valoir dans son accomplissement quotidien. 

Une fois appelés au service de l'évangile, nous ne faisons que ce que nous avons à faire. 

 

En tentant de vivre humblement chaque jour ce que nous avons compris de l'évangile, malgré nos imperfections crasses, nos erreurs, nos maladresses, en servant du mieux que nous pouvons, nous n'avons vraiment aucun titre à faire valoir, aucune prétention à mettre en avant, pas le moindre honneur à réclamer.

En servant Dieu, en servant le Christ, nous sommes de simples serviteurs, des serviteurs ordinaires, quelconques. Sans mérite. 

 

Des serviteurs vraiment inutiles ?

Il y a donc cet adjectif qui a longtemps été utilisé pour donner un titre à ce passage de l'évangile de Luc: la parabole du serviteur "inutile". 

Attention: non pas que ce serviteur ne soit pas utile. Mais ce serviteur n'est pas indispensable. Dieu pourrait très bien s'en passer. Dieu pourrait très bien se passer de nous. Mais il ne le veut pas. Lui qui nous a fait, il nous aime assez pour nous prendre à son service, comme nous sommes.

 

Jugés aptes d'être employés au service de son Royaume, qui que nous soyons, quels que soient 

notre caractère, notre origine, nos qualités et nos défauts... embauchés au service de Dieu, voilà notre dignité, notre honneur. Dignité et honneur qui viennent de Dieu donc, non pas de nous. Dignité, honneur, aptitude que nous recevons de Dieu. Mais que nous ne pouvons jamais nous attribuer à nous-mêmes.

 

L'humilité contre l'orgueil

En relisant les évangiles, nous savons bien que Jésus s'est constamment disputé avec des croyants orgueilleux, prétentieux, imbus d'eux-mêmes. En particulier certaines pharisiens. Ou des chefs religieux, qui revêtaient - qui revêtent toujours d'ailleurs - de beaux habits d'apparat, des décorations de grande valeur; pour bien montrer, au vu et au su de tous, qui ils sont, ce qu'ils valent. Ces dignitaires comme on dit, qui exposent leur dignité en public, qui affichent leurs mérites, et rappellent les honneurs et le service qu'on leur doit; à eux plus qu'à Dieu. 

Les disciples eux-mêmes n'ont pas été à l'abri de cet orgueil, lorsqu'ils se sont demandés qui était le plus grand, le plus méritant parmi eux.

 

Par cette brève présentation d'une situation absurde, Jésus nous appelle donc à l'humilité. L'humilité de celui, de celle qui se sait pas meilleur que les autres, pas plus digne que n'importe quel autre. 

Mais que Dieu lui-même engage à son service.
 

Boussole dans un monde déboussolé

Reste à savoir si les lecteurs des textes bibliques, et en particulier ceux et celles qui se disent chrétiens, se sentent visés par cette parabole. Se considèrent-ils, se considèrent-elles  comme disciples ?

 

Au moment où le christianisme - un soi-disant christianisme - est brandi comme une arme par des intégristes faussement pieux et des partis ultra-conservateurs, il me paraît personnelle-ment urgent que nous soyons de simples et d'humbles témoins, selon les moyens que Dieu nous a donnés. Témoins d'une foi inspirée et renouvelée par l'écoute attentive des textes bibliques. Une foi guidée et renouvelée par le message des évangiles.

 

Simples serviteurs et servantes ordinaires. Mais de précieux repères dans un monde aujourd'hui déboussolé.