3e dimanche après l’Épiphanie
Pasteur Roger Foehrlé

A l’époque des juges, il y eut une famine dans le pays. Un homme de Bethléhem de Juda partit avec sa femme et ses deux fils s’installer dans le pays de Moab.

Le nom de cet homme était Elimélec, celui de sa femme Naomi, et ses deux fils s'appelaient Machlon et Kiljon ; ils étaient éphratiens, de Bethléhem en Juda. Arrivés au pays de Moab, ils s'y établirent. Elimélec, le mari de Naomi, mourut et elle resta avec ses deux fils.

Ils prirent des femmes moabites – l'une s’appelait Orpa et l'autre Ruth – et ils habitèrent là environ 10 ans. Machlon et Kiljon moururent aussi tous les deux et Naomi resta privée de ses deux fils et de son mari. Alors elle se leva, elle et ses belles-filles, afin de quitter le pays de Moab. En effet, elle y avait appris que l'Eternel était intervenu en faveur de son peuple et lui avait donné du pain.

Elle partit de l'endroit où elle habitait, accompagnée de ses deux belles-filles, et elle se mit en route pour retourner dans le pays de Juda. Naomi dit à ses deux belles-filles : « Allez-y, retournez chacune dans la famille de votre mère ! Que l'Eternel agisse avec bonté envers vous, comme vous l'avez fait envers ceux qui sont morts et envers moi !

Que l'Eternel fasse trouver à chacune du repos dans la maison d'un mari ! » Puis elle les embrassa. Elles se mirent à pleurer tout haut et lui dirent : « Non, nous irons avec toi vers ton peuple. »

Naomi dit : « Retournez chez vous, mes filles ! Pourquoi viendriez-vous avec moi ? Suis-je encore en état d'avoir des fils qui puissent devenir vos maris ? Retournez chez vous, mes filles, allez-y ! Je suis trop vieille pour me remarier. Et même si je disais : ‘J'ai de l'espérance’, même si cette nuit j'étais avec un homme et que je mette au monde des fils, attendriez-vous pour cela qu'ils aient grandi, refuseriez-vous pour cela de vous marier ? Non, mes filles, car à cause de vous je suis dans une grande amertume parce que l'Eternel est intervenu contre moi. » Elles se remirent à pleurer tout haut. Orpa embrassa sa belle-mère, mais Ruth lui resta attachée. Naomi dit à Ruth : « Tu vois, ta belle-sœur est retournée vers son peuple et vers ses dieux ; retourne chez toi comme elle ! »

Ruth répondit : « Ne me pousse pas à te laisser, à repartir loin de toi ! Où tu iras j'irai, où tu habiteras j'habiterai ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu ; où tu mourras je mourrai et j'y serai enterrée. Que l'Eternel me traite avec la plus grande sévérité si autre chose que la mort me sépare de toi ! » La voyant décidée à l’accompagner, Naomi cessa d'insister auprès d'elle. Elles firent ensemble le voyage jusqu'à leur arrivée à Bethléhem.

 

Prédication
 

Frères et sœurs en Christ,

le début du livre de Ruth nous raconte l’histoire d’une famille d’Israël qui part s’installer dans un pays voisin pour fuir la famine, c’est un récit de migrations au pluriel puisque le livre commence avec la préparation du retour de Naomi la mère de famille. Et pourtant ce n’est généralement pas ce que nous retenons de ce récit de Ruth, puisque rien que l’évocation du nom suffit déjà à nous raconter une autre histoire faite de renoncement, d’héroïsme, d’amour et aussi d’un peu de ruse, une histoire comme nous les aimons, puisqu’elle commence de façon tragique et qu’elle finit bien.
 

Mais Ruth c’est aussi l’histoire d’une convertie qui renie la foi de ses ancêtres pour s’attacher aux valeurs du judaïsme. Ruth la moabite c’est l’arrière-grand-mère du roi David.  C’est, à coté de Tamar la transgressive, de Rahab la prostituée cananéenne et de Bethsabée l’adultère, femme d’Urie le hittite, une des 4 femmes dont le nom est mentionné dans la généalogie de Jésus qui se trouve dans l’évangile de Matthieu. On peut imaginer qu’elles sont mentionnées là afin d'introduire le monde païen converti dans l’histoire du salut dès avant la naissance du Christ, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il faut interpréter ces récits à partir des évènements du nouveau testament.

Enfin, en tapant Ruth sur google on tombe sur un commentaire qui dit : « Cette femme, malgré les tragédies de sa vie, malgré les influences négatives de son passé, a, par ses choix, complètement changé la trajectoire de sa vie, sa destinée et celle de sa famille. » C’est beau, ça semble héroïque mais ce n’est pas tout à fait vrai parce que sa famille, ses parents, sa culture, sa foi, son pays tout cela elle l’a laissé derrière elle.
 

Le livre de Ruth commence déjà par l’histoire d’une transgression, en effet Elimélec, son beau-père, n’était pas censé s’installer au pays de Moab avec sa famille et il était encore moins censé laisser ses fils épouser des filles du pays. Et dans un 2ème temps ça devient l’histoire d’un abandon, d’une trahison. Oui, Ruth est fidèle à sa belle-mère, à cette étrangère migrante économique qui n’a rien à lui offrir mais ce faisant, elle quitte, elle trahi les siens.

Et franchement s’il ne s’agissait pas de cette héroïne dont l’histoire a bercé notre enfance mais de n’importe qui d’autre, il n’est pas certain que nous soyons aussi admiratifs devant son choix de tout laisser derrière elle pour se lancer dans l’inconnu.
 

Lorsque nous relisons notre texte, à la lumière de son arrière-plan, la déclaration de Ruth a encore une plus grande portée. Cette femme se sépare de son passé, de ses racines, de ses valeurs, mais aussi de toutes les influences qui ont fait d’elle la femme qu’elle est. Elle renonce à la sécurité matérielle que lui aurait offerte un retour chez elle, elle renonce également, en tout cas dans un premier temps, à la possibilité de se remarier et d’avoir des enfants.

A ce propos, il faut signaler que les règles du lévirat -cette loi hébraïque qui oblige le beau-frère à épouser la veuve de son frère mort sans enfant, afin de perpétuer le nom de ce dernier- cette loi qui en dit long sur le statut de la femme à l’époque, ne s’applique pas puisque Naomi n’a plus d’autre fils et a passé l’âge d’en avoir.

Et dans ce cas, pourquoi Ruth fit-elle ce choix insensé de rester aux cotés de sa belle-mère qui pourtant l’a libérée de tout engagement et qui ne peut rien lui apporter ?

Nous ne le savons pas ! Nous aimerions probablement voir dans son choix le signe d’une conversion, cela nous rassurerait mais, il faut bien avouer que celle-ci n’est pas première. La première motivation de Ruth n’est pas religieuse, la foi est simplement une des composantes de sa décision. Elle dit : « Où tu iras j'irai, où tu habiteras j'habiterai ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu ; où tu mourras je mourrai et j'y serai enterrée. »
 

Ruth a fait le choix de se couper définitivement de son passé pour faire allégeance en premier lieu à Naomi, ensuite à son peuple et enfin à son Dieu, elle fait cette alliance gratuitement, sans mentionner aucune espérance, aucune perspective d’avenir, si ce n’est, un jour, d’être enterrée là où sa belle-mère est enterrée.

N'interprétons pas trop vite notre texte à partir de notre conception de chrétiens du 21ème siècle, dans notre histoire il n’y a pas d’appel de Dieu, pas de vocation ou de conversion spectaculaire, si Ruth doit être un exemple ce n’est pas là qu’il est à chercher. Dans ce premier chapitre nous rencontrons simplement 3 femmes qui partagent la même peine, le même deuil et qui ont visiblement beaucoup d’amour entre elles.
 

Il y a Naomi qui veut rentrer chez elle où pourtant rien, ni personne, ne l’attend et qui par amour renvoie ses belles filles dans leurs familles pour qu’elles, au moins, soient protégées. Il y a Orpa, la femme normale, raisonnable qui, la mort dans l’âme, obéit et les quitte.

Et puis, dans notre histoire, il y a Ruth qui choisit d’aller au-delà du raisonnable pour faire ce qu’elle pense être juste pour cette belle-mère qui est devenue sa famille de cœur.

La leçon que pourrait nous donner Ruth, si leçon il doit y avoir, elle est là, dans cet oubli de soi, de son propre intérêt, simplement par amour pour l’autre.

Et pourtant, il faut bien avouer que nous ne sommes pas tous comme Ruth, capables d’un amour jusqu’au-boutiste et déraisonnable et c’est tant mieux, un monde uniquement peuplé de ce genre de héros prêts au sacrifice de leur propre vie deviendrait vite invivable.
 

 Ils existent, il en faut, certes, mais nous ne sommes pas tous appelés à cela. La plupart du temps l’amour prêt à s’oublier soi-même n’a rien de spectaculaire mais se manifeste dans la banalité du quotidien. Il est dans l’effort que je fais pour aller à la rencontre de la petite vieille d’à côté que la solitude a aigri. Il est dans tous ces gestes que je fais sans attendre de retour.

Ce qui est important, c’est de nous laisser mettre en route vers les autres, avec les autres, poussés par l’Esprit de Dieu dans la banalité de notre quotidien comme dans l’exceptionnel de nos jours.

Amen 

Texte du Pasteur Foehrlé  (lu par Maryse Nsangou Njikam)